Quelles seront les restrictions apportées à Summorum Pontificum ?

Source: FSSPX Actualités

A propos du document romain qui devrait apporter des restrictions au Motu Proprio Summorum Pontificum, les spéculations et hypothèses sont nombreuses.

Sur la date de sa publication : Mgr Roland Minnerath a déclaré le 26 juin à des fidèles manifestant leur désapprobation après le renvoi des prêtres de la Fraternité Saint-Pierre de son diocèse de Dijon, qu’ils auraient « un nouveau Motu Proprio, dans les prochains jours ou semaines ».

Nombreuses aussi sont les spéculations sur le contenu de ce document romain. Elles sont alimentées par les récentes déclarations des adversaires du Motu Proprio. La lettre de Paix liturgique n°805 du 28 juin, rapporte ainsi les propos du cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’Etat, devant un groupe de cardinaux : « Nous devons mettre fin à cette messe pour toujours ! »

De même, Mgr Arthur Roche, nouveau Préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, a expliqué en riant à des responsables de séminaires de Rome et des membres de la Curie, tous anglophones : « Summorum Pontificum est pratiquement mort ! On va redonner le pouvoir aux évêques sur ce point, mais surtout pas aux évêques conservateurs. »

Ces déclarations s’inscrivent dans la ligne d’Andrea Grillo, professeur de liturgie à l’Institut pontifical Saint-Anselme. Pour ce progressiste bon teint, Summorum Pontificum a introduit un état « d’exception liturgique » aberrant, ce qui lui faisait dire sur le site Munera, le 21 janvier 2019 : « Le péché d’Ecclesia Dei se nomme Summorum Pontificum. »

Non plus un droit, mais une tolérance ?

Le 2 juin 2021 sur le blogue de Jeanne Smits, on pouvait lire sous la plume de Diane Montagna, journaliste au Remnant, que le document en était à sa troisième version, une mouture « moins sévère que les deux précédentes ».

La première version établissait une limite d’âge minimum pour la célébration de la « forme extraordinaire » [interdite aux moins de 78 ans, peut-être ? NDLR], un peu à la manière de l’indult de Paul VI qui autorisait les prêtres âgés à dire la messe traditionnelle après la promulgation du Novus Ordo. Cette première version envisageait également de placer les instituts Ecclesia Dei sous l’autorité de la Congrégation pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique.

Ce premier projet était accompagné, toujours selon Diane Montagna, d’une lettre d’introduction du pape François « particulièrement rude et hargneuse » à l’égard de la messe tridentine.

Citant des sources vaticanes, elle ajoutait que le cardinal Luis Francisco Ladaria, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, s’était fortement opposé à la première version du document, et que la lettre du pape avait été révisée, elle aussi.

La troisième version se contenterait d’une autorisation préalable pour les prêtres diocésains, sans que soit encore défini si elle doit être donnée par l’évêque du lieu ou par Rome.

Elle accorderait aux communautés Ecclesia Dei la faculté de célébrer selon le rite traditionnel – tout en demandant leur adhésion au Concile et ses réformes –, mais la liberté pour tous les prêtres de dire la messe tridentine que leur reconnaissait  Summorum Pontificum, serait abolie. On passerait ainsi du droit reconnu à la tolérance accordée.

En cas de litige, les recours seraient examinés non par la Congrégation pour la doctrine de la foi mais par la Congrégation pour le culte divin, dont le nouveau préfet, Mgr Roche, est « connu comme un adversaire résolu de la messe traditionnelle et un opposant au Motu Proprio Summorum pontificum », ainsi que l’écrit Yves Daoudal sur son blogue le 28 mai.

On ne peut que réaffirmer ce que déclarait FSSPX.Actualités du 28 mai, une telle restriction apportée au Motu Proprio de Benoît XVI, serait parfaitement « abusive », et comme elle irait contre le bien commun de l’Eglise, elle serait « nulle de soi ». Bien que la Fraternité Saint-Pie X ne puisse se sentir concernée, « elle regretterait profondément une telle limitation, car ce serait un recul sur le chemin du retour à la Tradition qui retarderait d’autant la solution de la crise de l’Eglise ».

Et la crédibilité de l’autorité dans tout cela ?

Au-delà des rumeurs et spéculations sur sa date et son contenu, le Motu Proprio réaménagé pose une question majeure : celle de l’autorité dans l’Eglise, à commencer par celle du pape lui-même. C’est ce que souligne avec justesse un religieux salésien, don Marco Begato, que le vaticaniste Aldo Maria Valli reprend sur son site, le 19 juin.

Son argument est le suivant : « une décision portant tort à Summorum Pontificum – surtout si elle est prise alors que Benoît XVI est encore en vie – serait un coup bas pour la liturgie, mais surtout un coup dur pour l’autorité ».

Voici son développement très pertinent : « La question que je me pose est de savoir quelle valeur il faudrait accorder à un document qui, en l’espace de quelques décennies, serait retourné comme une chaussette. Bien peu, je dirais.

« Mais la valeur du document, dans notre cas, dit aussi la valeur de son auteur, et puisqu’un Motu Proprio est une intervention éminente et autonome du souverain pontife, il dit la valeur des déclarations pontificales et de leur rapport avec l’épiscopat (par exemple, avec la disposition d’un épiscopat à obéir à un Motu Proprio).

« Et donc, avec une dévaluation d’un Motu Proprio ne risquerait-on pas d’enlever du crédit aux interventions du pape en tant que telles ? Ne risquerait-on pas de donner l’impression que les interventions directes du pape sont très douteuses, valables pour quelques décennies tout au plus, bonnes à être retoquées ? [En clair, des Motu Proprio avec une date de péremption. NDLR]

« C’est en ce sens que toucher à Summorum Pontificum reviendrait à mes yeux à toucher à la crédibilité même du souverain pontife et de la hiérarchie, à toucher à leur autorité. Et cela, je le dis non pas pour exprimer un sentiment psychologique personnel de confiance trahie, mais pour mettre en évidence un état de confusion radical et objectif que le Motu Proprio anti-Summorum Pontificum attribuerait ipso facto aux plus hautes charges.

« Le raisonnement est aussi simple que désarmant : si les dirigeants ne sont pas clairs sur ce qu’ils veulent faire et pourquoi, s’ils agissent en fonction des équilibres curiaux changeants ou des modes sociales, et non selon des présupposés théologiques définis et stables, pourquoi devrions-nous leur obéir ?

« Je veux dire, sur la base de quels présupposés devrions-nous leur obéir ? A quelles conditions ? Mieux encore, à quoi devrions-nous obéir ? A l’écrit changeant ? A l’intention qui a fuité à travers les journaux ? Aux déclarations des pasteurs à la télévision ? Au pape 1 ou au pape 2 ? A l’évêque qui suit la lettre ou à l’évêque de l’esprit ? Pour la mode ou pour la commodité ? Au premier ou au second lustre [dans 5 ans ou dans 10 ans. NDLR] ?

« Je le répète, ma réaction n’est pas une réaction psychologique, mais une sérieuse difficulté déontologique. Je suis tenu d’obéir à ceux qui me montrent certainement la volonté de Dieu.

« Mais une communauté ecclésiale qui est confuse, qui change continuellement ses exigences, qui fournit de moins en moins d’explications théologiques, qui tend à ne pas répondre ou à éluder les doutes soulevés, qui, dans le millénaire de la liberté et dans l’Eglise postconciliaire enfin libérée des légalismes, pousse [paradoxalement] à une obéissance intransigeante, en quoi une telle réalité peut-elle être dite crédible et fiable ?

En quoi doit-on la croire et la suivre ? Pour combien de temps ? Avec quels critères ? Quel sérieux faut-il lui accorder ? Dans quelle mesure puis-je interpréter et réinterpréter à ma guise ? Qui détermine cela ? »

Et don Begato de conclure, avec bon sens : bientôt « accorder de la crédibilité aux autorités sera par définition un pari, une roulette, un jeu… de moins en moins divertissant et de plus en plus risqué ».