Les leçons spirituelles de Lourdes exposées par Pie XII

Source: FSSPX Actualités

Fondée par Mgr Lefebvre le 1er novembre 1970, la Fraternité Saint-Pie X aura cinquante ans en 2020. Sur décision de son Supérieur général, l’abbé Davide Pagliarani, elle célébrera son jubilé d’or, à Lourdes, lors du pèlerinage international du Christ Roi, les 24, 25 et 26 octobre 2020. Déjà en 2008, le 20e anniversaire des sacres épiscopaux fut célébré dans la cité mariale.

Après avoir évoqué les rapports entre saint Pie X et Lourdes, FSSPX.Actualités se penche sur les liens étroits qui unissaient le pape Pie XII avec les apparitions de Lourdes.

Le 29 mai 1954, en l’année du centenaire de la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception par Pie IX, le pape Pie XII canonisait saint Pie X. Quatre ans plus tard, quelques mois avant de rendre son âme à Dieu, le Pasteur angélique avait la joie de fêter le centenaire des apparitions.

Dans cette perspective, le pape Pie XII publia, le 2 juillet 1957, une encyclique écrite en français, Le pèlerinage de Lourdes, dans laquelle il souligne l’importance de ce « siècle de dévotions mariales » que fut le XIXe siècle, et il rappelle les nombreuses grâces reçues par l’intercession de Notre Dame, pas seulement à Lourdes. Citant son prédécesseur Pie XI, le pape réaffirme que « ce sanctuaire passe maintenant à juste titre pour l’un des principaux sanctuaires mariaux du monde », et que les souverains pontifes, conscients de l’importance de ces pèlerinages, « n’ont jamais cessé de les enrichir de faveurs spirituelles ». 

Dans la seconde partie de son encyclique Pie XII expose les leçons spirituelles des apparitions de Lourdes. Plus de 60 ans après, ses propos sont d’une actualité saisissante. Après avoir invité à la conversion individuelle, le pape Pie XII appelle à un renouveau chrétien de toute la société pour lequel sont mobilisés les prêtres, les âmes consacrées, les familles chrétiennes, tous ceux qui ont une influence professionnelle et civique, sans oublier les petits, les pauvres et les malades dont « les souffrances unies à celles du Sauveur » sont une aide précieuse dans cette entreprise de renouvellement chrétien de la société. 

Ces leçons [des apparitions], écho fidèle du message évangélique, font ressortir de façon saisissante le contraste qui oppose les jugements de Dieu à la vaine sagesse de ce monde. Dans une société, qui n’a guère conscience des maux qui la rongent, qui voile ses misères et ses injustices sous des dehors prospères, brillants et insouciants, la Vierge Immaculée, que jamais le péché n’effleura, se manifeste à une enfant innocente. Avec une compassion maternelle, elle parcourt du regard ce monde racheté par le sang de son Fils, où hélas le péché fait chaque jour tant de ravages, et, par trois fois, elle lance son pressant appel : « Pénitence, pénitence, pénitence ! » Des gestes expressifs sont même demandés : « Allez baiser la terre en pénitence pour les pécheurs ». Et au geste il faut joindre la supplication : « Vous priez Dieu pour les pécheurs ». Ainsi, comme au temps de Jean-Baptiste, comme au début du ministère de Jésus, la même injonction, forte et rigoureuse, dicte aux hommes la voie du retour à Dieu : « Repentez-vous ! » (Mt 3, 2-12). Et qui oserait dire que cet appel à la conversion du cœur a, de nos jours, perdu de son actualité ?  

Mais la Mère de Dieu pourrait-elle venir vers ses enfants, si ce n’est en messagère de pardon et d’espérance. Déjà l’eau ruisselle à ses pieds : « Omnes sitientes, venite ad aquas, et haurietis salutem a Domino. – Vous tous qui avez soif, venez aux sources et puisez le salut dans le Seigneur » (Office de la fête des Apparitions, 1er répons du IIIe nocturne). A cette source, où Bernadette docile est allée la première boire et se laver, afflueront toutes les misères de l’âme et du corps. « J’y suis allé, je me suis lavé et j’ai vu » (Jn 9, 11) pourra répondre, avec l’aveugle de l’Evangile, le pèlerin reconnaissant. Mais, comme pour les foules qui se pressaient autour de Jésus, la guérison des plaies physiques y demeure, en même temps qu’un geste de miséricorde, le signe du pouvoir que le Fils de l’Homme a de remettre les péchés (cf. Mc 2, 10). Auprès de la grotte bénie, la Vierge nous invite, au nom de son divin Fils, à la conversion du cœur et à l’espérance du pardon. L’écouterons-nous ?  

La conversion personnelle 

Dans cette humble réponse de l’homme qui se reconnaît pécheur réside la vraie grandeur de cette année jubilaire. Quels bienfaits ne serait-on pas en droit d’en attendre pour l’Eglise si chaque pèlerin de Lourdes – et même tout chrétien uni de cœur aux célébrations du Centenaire – réalisait d’abord en lui-même cette œuvre de sanctification, « non pas en paroles et de langue, mais en actes et en vérité ! » (1 Jn 3, 18). Tout l’y invite d’ailleurs, car nulle part peut-être autant qu’à Lourdes on ne se sent à la fois porté à la prière, à l’oubli de soi et à la charité. A voir le dévouement des brancardiers et la paix sereine des malades, à constater la fraternité qui rassemble dans une même invocation des fidèles de toute origine, à observer la spontanéité de l’entraide et la ferveur sans affectation des pèlerins agenouillés devant la grotte, les meilleurs sont saisis par l’attrait d’une vie plus totalement donnée au service de Dieu et de leurs frères, les moins fervents prennent conscience de leur tiédeur et retrouvent le chemin de la prière, les pécheurs plus endurcis et les incrédules eux-mêmes sont souvent touchés par la grâce ou du moins, s’ils sont loyaux, ils ne restent pas insensibles au témoignage de cette « multitude de croyants n’ayant qu’un cœur et qu’une âme » (Ac 4, 32).  

A elle seule pourtant, cette expérience de quelques brèves journées de pèlerinage ne suffit généralement pas à graver en caractères indélébiles l’appel de Marie à une authentique conversion spirituelle. Aussi exhortons-Nous les pasteurs des diocèses et tous les prêtres à rivaliser de zèle pour que les pèlerinages du Centenaire bénéficient d’une préparation, d’une réalisation et surtout de lendemains aussi propices que possible à une action profonde et durable de la grâce. Le retour à une pratique assidue des sacrements, le respect de la morale chrétienne dans toute la vie, l’engagement enfin dans les rangs des diverses œuvres recommandées par l’Eglise : à ces conditions seulement, n’est-il pas vrai, l’important mouvement de foules prévu à Lourdes pour l’année 1958 portera, selon l’attente même de la Vierge Immaculée, les fruits de salut si nécessaires à l’humanité présente.  

Le renouveau chrétien de la société 

Mais, pour primordiale qu’elle soit, la conversion individuelle du pèlerin ne saurait ici suffire. En cette année jubilaire, Nous vous exhortons, Chers Fils et Vénérables Frères, à susciter parmi les fidèles commis à vos soins un effort collectif de renouveau chrétien de la société, en réponse à l’appel de Marie : « Que les esprits aveuglés... soient illuminés par la lumière de la vérité et de la justice, demandait déjà Pie XI lors des Fêtes mariales du Jubilé de la Rédemption, que ceux qui s’égarent dans l’erreur soient ramenés dans le droit chemin, qu’une juste liberté soit partout accordée à l’Eglise, et qu’une ère de concorde et de vraie prospérité se lève sur tous les peuples » (Lettre du 10 janvier 1935, A. A. S. XXVII 1935, p. 7).  

Or le monde, qui offre de nos jours tant de justes motifs de fierté et d’espoir, connaît aussi une redoutable tentation de matérialisme, souvent dénoncée par Nos Prédécesseurs et par Nous-même. Ce matérialisme, il n’est pas seulement dans la philosophie condamnée qui préside à la politique et à l’économie d’une portion de l’humanité ; il sévit aussi dans l’amour de l’argent, dont les ravages s’amplifient à la mesure des entreprises modernes et qui commande hélas tant de déterminations pesant sur la vie des peuples ; il se traduit par le culte du corps, la recherche excessive du confort et la fuite de toute austérité de vie ; il pousse au mépris de la vie humaine, de celle même que l’on détruit avant qu’elle ait vu le jour ; il est dans la poursuite effrénée du plaisir, qui s’étale sans pudeur et tente même de séduire, par les lectures et les spectacles, des âmes encore pures ; il est dans l’insouciance de son frère, dans l’égoïsme qui l’écrase, dans l’injustice qui le prive de ses droits, en un mot dans cette conception de la vie qui règle tout en vue de la seule prospérité matérielle et des satisfactions terrestres. « Mon âme, disait un riche, tu as quantité de biens en réserve pour longtemps ; repose-toi, mange, bois, fais la fête. Mais Dieu lui dit : Insensé, cette nuit même, on va te redemander ton âme » (Lc 12, 19-20).  

Le cri d’alarme de Marie

A une société qui, dans sa vie publique, conteste souvent les droits suprêmes de Dieu, qui voudrait gagner l’univers au prix de son âme (cf. Mc 8, 36) et courrait ainsi à sa perte, la Vierge maternelle a lancé comme un cri d’alarme. Attentifs à son appel, que les prêtres osent prêcher à tous sans crainte les grandes vérités du salut. Il n’est de renouveau durable, en effet, que fondé sur les principes infrangibles de la foi, et il appartient aux prêtres de former la conscience du peuple chrétien. De même que l’Immaculée, compatissante à nos misères mais clairvoyante sur nos vrais besoins, vient aux hommes pour leur rappeler les démarches essentielles et austères de la conversion religieuse, les ministres de la Parole de Dieu doivent, avec une surnaturelle assurance, tracer aux âmes la route étroite qui mène à la vie (cf. Mt 7, 14). Ils le feront sans oublier de quel esprit de douceur et de patience ils se réclament (cf. Lc 9, 55-56), mais sans rien voiler des exigences évangéliques. A l’école de Marie, ils apprendront à ne vivre que pour donner le Christ au monde, mais, s’il le faut aussi, à attendre avec foi l’heure de Jésus et à demeurer au pied de la croix.  

Autour de leurs prêtres, les fidèles se doivent de collaborer à cet effort de renouveau. Là où la Providence l’a placé, qui donc ne peut faire davantage encore pour la cause de Dieu ? Notre pensée se tourne d’abord vers la multitude des âmes consacrées, qui se dévouent dans l’Eglise à d’innombrables œuvres de bien. Leurs vœux de religion les appliquent plus que d’autres à lutter victorieusement, sous l’égide de Marie, contre le déferlement sur le monde des appétits immodérés d’indépendance, de richesse et de jouissance ; aussi, à l’appel de l’Immaculée, voudront-elles s’opposer à l’assaut du mal par les armes de la prière et de la pénitence et par les victoires de la charité. Notre pensée se tourne également vers les familles chrétiennes, pour les conjurer de demeurer fidèles à leur irremplaçable mission dans la société. Qu’elles se consacrent, en cette année jubilaire, au Cœur Immaculé de Marie ! Cet acte de piété sera pour les époux une aide spirituelle précieuse dans la pratique des devoirs de la chasteté et de la fidélité conjugales ; il gardera dans sa pureté l’atmosphère du foyer où grandissent les enfants ; bien plus, il fera de la famille, vivifiée par sa dévotion mariale, une cellule vivante de la régénération sociale et de la pénétration apostolique. Et certes, au-delà du cercle familial, les relations professionnelles et civiques offrent aux chrétiens soucieux de travailler au renouveau de la société un champ d’action considérable. Rassemblés aux pieds de la Vierge, dociles à ses exhortations, ils porteront d’abord sur eux-mêmes un regard exigeant et ils voudront extirper de leur conscience les jugements faux et les réactions égoïstes, craignant le mensonge d’un amour de Dieu qui ne se traduirait pas en amour effectif de leurs frères (cf. 1 Jn 4, 20). Ils chercheront, chrétiens de toutes classes et de toutes nations, à se rencontrer dans la vérité et la charité, à bannir les incompréhensions et les suspicions. Sans doute, énorme est le poids des structures sociales et des pressions économiques qui pèse sur la bonne volonté des hommes et souvent la paralyse. Mais, s’il est vrai, comme Nos Prédécesseurs et Nous-même l’avons souligné avec insistance, que la question de la paix sociale et politique est d’abord, en l’homme, une question morale, aucune réforme n’est fructueuse, aucun accord n’est stable sans un changement et une purification des cœurs. La Vierge de Lourdes le rappelle à tous en cette année jubilaire.  

Et si, dans sa sollicitude, Marie se penche avec quelque prédilection vers certains de ses enfants, n’est-ce pas, Chers Fils et Vénérables Frères, vers les petits, les pauvres et les malades, que Jésus a tant aimés ? « Venez à moi, vous tous qui êtes las et accablés, et je vous soulagerai », semble-t-elle dire avec son divin Fils (Mt 11, 28). Allez à elle, vous qu’écrase la misère matérielle, sans défense devant les rigueurs de la vie et l’indifférence des hommes ; allez à elle, vous que frappent les deuils et les épreuves morales ; allez à elle, chers malades et infirmes, qui êtes vraiment reçus et honorés à Lourdes comme les membres souffrants de Notre Seigneur ; allez à elle et recevez la paix du cœur, la force du devoir quotidien, la joie du sacrifice offert. La Vierge Immaculée, qui connaît les cheminements secrets de la grâce dans les âmes et le travail silencieux de ce levain surnaturel du monde, sait de quel prix sont, aux yeux de Dieu, vos souffrances unies à celles du Sauveur. Elles peuvent grandement concourir, Nous n’en doutons pas, à ce renouveau chrétien de la société que Nous implorons de Dieu par la puissante intercession de sa Mère. Qu’à la prière des malades, des humbles, de tous les pèlerins de Lourdes, Marie tourne également son regard maternel vers ceux qui demeurent encore hors de l’unique bercail de l’Eglise, pour les rassembler dans l’unité ! Qu’elle porte son regard sur ceux qui cherchent et qui ont soif de vérité, pour les conduire à la source des eaux vives ! Qu’elle parcoure enfin du regard ces continents immenses et ces vastes zones humaines où le Christ est hélas si peu connu, si peu aimé, et qu’elle obtienne à l’Eglise la liberté et la joie de répondre en tous lieux, toujours jeune, sainte et apostolique, à l’attente des hommes ! 

« Voulez-vous avoir la bonté de venir... », disait la Sainte Vierge à Bernadette. Cette invitation discrète, qui ne contraint pas, qui s’adresse au cœur et sollicite avec délicatesse une réponse libre et généreuse, la Mère de Dieu la propose de nouveau à ses fils de France et du monde. Sans s’imposer, elle les presse de se réformer eux-mêmes et de travailler de toutes leurs forces au salut du monde. Les chrétiens ne resteront pas sourds à cet appel ; ils iront à Marie. Et c’est à chacun d’eux qu’au terme de cette Lettre Nous voudrions dire avec saint Bernard : « In periculis, in angustiis, in rebus dubiis, Mariam cogita, Mariam invoca. Ipsam sequens, non devias ; ipsam rogans, non desperas ; ipsam cogitans, non erras ; ipsa tenente, non corruis ; ipsa protegente, non metuis ; ipsa duce, non fatigaris ; ipsa propitia, pervenis. – Dans les dangers, les angoisses, les doutes, pense à Marie, invoque Marie. En la suivant, impossible de s’égarer ; en la priant, de te décourager ; en pensant à elle, d’errer. Ta main dans la sienne, pas de chute ; sous sa protection, pas de crainte ; sous sa conduite, pas de fatigue ; avec son appui, tu touches au but. » (Hom. II super Missus est)